Lactarius piperatus et L. glaucescens

...peut-être pas si simple que cela !


Texte de Marcel LECOMTE


        Voici plus de deux ans que nous nous intéressons de très près à la sous-section des Piperatini (Fr.) Konrad, qui peut paraître bien simple, voire simpliste, puisque selon une équipe nordique (Heilmann-Clausen, Verbeken & Vesterholt) et un auteur méridional ( M.T. Basso), qui viennent de publier chacun une révision du genre Lactarius, elle contient seulement 2 espèces : piperatus et glaucescens !
         Après avoir observé des centaines d’exemplaires frais ou sous forme d’exsiccata, nous ne partageons pas cet avis, et nous allons tenter de vous expliquer pourquoi !

A. Un peu d’histoire d’abord !

Tout commence avec Elias Magnus FRIES qui, en 1821, publie dans son SYSTEMA MYCOLOGICUM (volume I, p. 76, articles 40 & 41) la diagnose de pargamenus (avec « a » : il semble que ce soit une faute d’orthographe générée vraisemblablement par le mot « parchemin », dérivé altéré du latin classique pergamenus, qui signifie « parcheminé » ), et de piperatus.
Il écrit ainsi pour pargamenus : blanc, charnu, de convexe à plan déprimé, étalé, non zoné, d'aspect irrégulier, glabre ; lames adnées très étroites, horizontales, très serrées, d'un blanc de paille. Lait blanc et rare, pied glabre. Se distingue du précédent par son pied plus long, son chapeau plus mince et ses lames vraiment pas arquées. Tandis que pour piperatus , on peut lire : chapeau blanc, compact, ombiliqué, infundibiliforme, non zoné, uni, glabre ; pied épais, dur, très court ; lamelles décurrentes, étroites, se prolongeant par un filet, fourchues.

        ROMAGNESI a cependant déclaré que : « ... s’il est raisonnable de se référer aux interprétations définitives de FRIES, dans HYMENOMYCETES EUROPAEI et la MONOGRAPHIA, le SYSTEMA est un ouvrage médiocre de débutant, dont l’auteur a passé le reste de sa vie à rectifier les erreurs… » ( Bulletin de la Société Mycologique de France, 1980, t.96, fasc.1, p. 73)

        Une partie des auteurs ultérieurs, et notamment QUELET, ont continué à les distinguer selon Fries, tandis que d’autres émettaient l’idée qu’une espèce pouvait varier fortement selon son âge et les conditions de poussée et niaient ainsi l’existence de deux taxons différents… le fait de rencontrer des récoltes à lait verdissant ne semblait pas les déranger outre mesure ! Et malheureusement, la forte variabilité macroscopique des Albati pouvait laisser la porte ouverte à de telles suppositions.
Pour vous donner une idée des confusions qui règnent, voici ce qu’ écrit Robert HENRY, le célèbre cortinariologue, dans sa thèse de doctorat en médecine, le 16 décembre 1931 :« « …si sur la tranche de section fraîche de ces deux spécimens, vous déposez une ou deux gouttes de formol, après plusieurs heures, vous ne verrez se produire aucun changement appréciable sur L. vellereus, alors que dans le même temps, la chair de L. piperatus sera devenue bleu foncé (la réaction peut s’obtenir beaucoup plus vite, en quelques minutes, en ajoutant au formol son volume d’un des trois acides : acide sulfurique, acide chlorhydrique ou acide nitrique). Dans le même ordre d’idée, F. BATAILLE avait déjà noté que si l’on place sur une lame de verre une goutte de lait de chacun des deux lactaires et qu’on touche chacune d’elle avec un agitateur trempé dans une solution de potasse, on voit que la goutte de lait de L. piperatus devient immédiatement hyaline alors que l’autre prend une belle couleur ocre orangé… » »

Puis, en 1956, Henri ROMAGNESI, publie dans le Bulletin de la Société Mycologique de France (tome 72, fascicule 4, p. 324-328) un premier article qui modifie toutes les données.
Il fait remarquer que l'on avait peut-être eu tort de donner tant de poids à la forme du pied, à la silhouette élancée ou non de ce lactaire et que l'on aurait probablement mieux fait d'accorder plus d'importance à l'apparence du chapeau qui pour Fries était laevi, uni, chez piperatus, mais ruguloso, ridé et irrégulier chez pergamenus.
En se basant sur les caractères microscopiques et les réactions chimiques, il va mettre en évidence deux « formes » différentes :
            1. Il nomme « pergamenus » les espèces à lames un peu rosâtres, à spores oblongues, à cuticule à peine différenciée, à lait blanc immuable au contact de la potasse.
             2. Il nomme « piperatus » les espèces à cuticule surmontée d’un tapis d’hyphes minces, à spores subcylindriques, à lait verdissant à l’air et jaunissant au contact de la potasse.
            3. Pour compliquer les choses, CROSSLAND avait décrit en 1900, son « glaucescens », à lait verdissant, correspondant de près avec le piperatus de Fries ; Romagnesi les considéra comme synonymes en laissant la priorité à piperatus Fries .

De son côté, Walther NEUHOFF, dans sa monographie datant aussi de 1956, décrit également deux espèces :
             1. Il nomme « piperatus » les espèces à KOH nul
             2. Il nomme « glaucescens » les espèces à KOH jaune, et à spores larges, subrondes.

Jean BLUM publie en 1966, dans le Bulletin de la Société Mycologique de France (Tome 82, fascicule 2, p. 241-247) un article intitulé « Les « Lactaires du groupe piperatus » qui va encore compliquer les choses !
Il s’est intéressé de très près à ce groupe et après avoir partagé durant des années la théorie de Romagnesi, il rencontre un jour le glaucescens de Neuhoff, à spores larges, subrondes avec une cuticule intermédiaire, c'est-à-dire présentant des hyphes éparses ne formant en aucune manière un tapis épais. Il constate aussi que cette espèce a des lames qui ne sont pas du tout décurrentes, alors que le piperatus de Fries indique clairement une décurrence des lames.
Nous le citons : « ……C'est alors que le hasard nous fit découvrir dans le pays basque espagnol toute une série de récoltes, sous les chênes, ayant vraiment des lames non décurrentes, et parfois même séparées du pied par un léger sillon et évidemment, les textes friésiens, encore proches dans notre esprit, remontèrent à la surface et nous constatâmes que cette question d'insertion des lames était primordiale. Fries avait insisté, Quélet en avait fait autant et Bataille avait même donné une clé de détermination dans laquelle il distinguait piperatus de pergamenus par ce seul caractère.
Mais nos récoltes montraient un lactaire à lait verdissant à l'air et jaunissant à la potasse, c'est-à-dire se comportant comme le glaucescens de Crossland ; elles bouleversaient totalement nos récentes conceptions antérieures puisqu'il en résultait que piperatus était le lactaire à lait immuable à KOH nul, tandis que pergamenus était l'espèce verdissante à KOH jaune. Mais notre surprise fut grande en nous apercevant que Fries et Quélet l'avaient noté et que cela nous avait échappé. Quélet avait écrit pour piperalus : chair blanche comme le lait, lamelles décurrentes, serrées... et pour pergamenus : chair et lait blancs, prenant à la dessiccation une teinte bleue ou vert cendré ; lamelles adnées... Et Fries cite Quélet dans ses synonymies avec ce sens-là ; bien plus, dans le Systema, bien longtemps auparavant, il avait été indiqué que le pied de pergamenus devenait finalement coerulescens ce qui concorde bien.
Et dans le fond, cette solution est très normale : le lactaire courant est bien le piperatus, tandis que pergamenus est rare ; il n'est même nullement surprenant que Crossland ait pensé à une espèce nouvelle en découvrant un piperatus au comportement si particulier que ce soit simplement à l'air ou au contact de réactifs comme le formol ; car certains exemplaires réagissent réellement avec une intensité surprenante. …… ».
Après maintes observations confirmant ses suppositions, il en arrive à la conclusion que macroscopiquement, cette décurrence des lames est le seul critère valable pour différencier piperatus et pergamenus.
De toutes ces observations, il tire la conclusion suivante :
         le piperatus de Fries, contrairement à ce que pensait Romagnesi, est l’espèce à lait blanc immuable et à lames décurrentes.
         pergamenus est l’espèce à lait verdissant et à lames décurrentes (Fries cite d’ailleurs Quélet dans ses synonymies et celui-ci avait écrit : « chair et lait blancs, prenant à la dessiccation une teinte bleue ou vert cendré…. »).

Dans sa monographie sur les Lactaires publiée en 1976 (Les Lactaires, 1976, p. 73-87), J. BLUM résume son point de vue de cette manière :
         piperatus Fries a les lames nettement décurrentes par un filet, un lait immuable et un KOH nul, des spores légèrement oblongues ; la forme type a un chapeau d’abord uni, mais plus tard souvent gercé ou crevassé concentriquement, comme frisé sur l’extrême bord de la marge… on rencontre aussi des formes à cuticule toujours lisse et non veloutée, mais irrégulière, bosselée, ruguleuse.
         pergamenus Fries a les lames s’arrêtant nettement sur le pied, un chapeau à surface vite irrégulière, un lait jaunissant au KOH et verdissant à l’air ; la chair se colore rapidement de violet puis de bleu au formol ; les spores sont larges et nettement subrondes.
         glaucescens Crossland a un chapeau dur, longtemps très lisse, avec un lait verdissant à l’air et ayant, au sens de Romagnesi, des spores subcylindriques, des lames décurrentes, une chair réagissant en bleu au formol, et un lait jaune au KOH.


Voici donc enfin des éléments qui permettent de se faire une idée précise du sujet ! Mais cela était trop beau et ne devait guère durer !


En 1980, Henri ROMAGNESI publie dans le Bulletin de la Société Mycologique de France (tome 96, fascicule 1, p. 73-95) un autre article intitulé « Nouvelles observations sur les lactaires blancs », dans lequel il rejette la nomenclature de Blum et Schäfer en ce qui concerne l’interprétation de piperatus Scopoli ex Fries et de pergamenus Schwartz ex Fries. Il reconnaît trois espèces dans le groupe piperatus :
              1. piperatus Fries ex ss. Quélet et Bataille
              2. pergamenus Schwartz ex Fries ss. Romagnesi 1956
              3. glaucescens (Crossland) Pearson (= piperatus ss. Romagnesi 1956 = pergamenus sensu Blum)


En 1980 également, Marcel BON publie sa « Clé monographique du Genre Lactarius », dans la collection DOCUMENTS MYCOLOGIQUES, tome 10, fascicule 40, p. 13-15.
Il y distingue également très nettement pergamenus de glaucescens.
Cette clé fait encore autorité aujourd'hui auprès de quasi tous les amateurs de lactaires !
Une citation importante et édifiante, p.14 : « Nous avons pris connaissance d’un remarquable échange de lettres entre MM. ROMAGNESI et MARCHAND, au sujet de la nomenclature de ce groupe ; les arguments développés par les deux auteurs semblent à la fois indiscutables et diamétralement opposés, de sorte qu’il est absolument impossible de donner entièrement raison à l’un ou à l’autre ; dans ce cas, il est souhaitable de choisir la nomenclature des ouvrages les plus récents (BLUM et MARCHAND), afin d’éliminer une fois pour toutes les confusions… ».


Toujours en 1980, André MARCHAND publie le tome 6 des « Champignons du Nord et du Midi », consacré aux Lactaires et Pholiotes. Il y sépare de manière quasi indiscutable, avec une profusion de détails, les trois taxons… et tout cela semble tellement clair et indiscutable, qu’on pourrait croire la situation réglée.
Il y écrit : « On ne doute plus qu’une suite d’intermédiaires relient piperatus à pergamenus, et que glaucescens représente un jalon plus repérable que les autres… »


Nous en arrivons ainsi à découvrir dans la littérature cette situation, avec une succession de taxons et d’interprétations déconcertantes (et je pèse mes mots !) :

              Agaricus piperatus Scopoli (1772) ex Fries (1821)
              Agaricus pargamenus Swartz (1809) ex Fries (1821)
              Lactarius pergamenus (Swartz ex Fries) Fries (1836)
              Lactarius piperatus Fries ex Scopoli (1772), ss. Quélet et Bataille
              Lactarius piperatus (L. ex Fries) ss. Blum, Marchand, Bon (1963), non Romagnesi (= pergamenus ss. Romagnesi)
              Lactarius piperatus Scopoli
              Lactarius piperatus (Scopoli : Fries) Pearson (= pergamenus ss. Romagnesi)
              Lactarius piperatus var. pergamenus (Swartz ) Quélet
              Lactarius piperatus var. pergamenus Bataille (1908)
              Lactarius piperatus (L. ex Fries) S.F.Gray
              Lactarius spurius Romagnesi (=piperatus ss. Quélet, Bataille, in Romagnesi 1980)
              Lactarius pergamenus Swartz (1808) ex Fries, ss. Romagnesi (1956)
              Lactarius pergamenus Fries (= ss. Blum, Marchand, nec Romagnesi) (= glaucescens ss. Neuhoff)
              Lactarius glaucescens Crossland (1900) (= piperatus auct. pp. ; Romagnesi 1956)
              Lactarius glaucescens (Crossland) Pearson (1950) (= piperatus ss. Romagnesi 1956 = pergamenus ss. Blum = probablement piperatus ss. Blum)
              Lactarius glaucescens (Crossland) Neuhoff (1956) (= piperatus ss. Romagnesi 1956 = pergamenus ss. Blum = probablement piperatus ss. Blum)
              Lactarius eburneus Z. Schaefer


A ce stade de découverte de la situation, nous avouons notre totale incompréhension !

B. Nos observations personnelles !

        Durant les années 2000 et 2001, l’abondance particulière de lactaires du groupe Albati, sous-section Piperatini, a fait que nous avons testé en très peu de temps plusieurs centaines d’exemplaires de cette sous-section provenant d’origines différentes (suite à des collectes pour des expositions, de nombreuses récoltes qui nous ont été apportées, notre participation à des Journées Mycologiques ou des Congrès divers et l’aide efficace de membres du forum Mycologia Europaea).
Pour terminer de me décontenancer, il se fait que nous avons eu entre les mains, au Congrès de la Société Mycologique de France à Ambleteuse, un spécimen à lait verdissant rapidement et très nettement MAIS à KOH strictement nul, dont nous avons gardé l’exsiccatum : où le placer ?
Cette année, nous l'avons observé à nouveau dans un bois de feuillus en nombreux exemplaires (plusieurs dizaines…) en compagnie de Pierre-Arthur MOREAU, qui nous a aimablement conduit sur le biotope, à VALLANDRY, le 20 août 2001. TOUS les exemplaires testés présentaient un lait verdissant nettement en quelques minutes, et un KOH nul.
Serait-ce le spurius de Romagnesi, auquel bien peu de personnes croient ?
Ces observations ont commencé à éveiller singulièrement notre curiosité, et nous sommes arrivé à les classer, macroscopiquement, en 4 groupes bien distincts :

        Un contrôle au KOH à 10 % , effectué sur le lait séparé de la chair (sur lame de verre…) a permis de confirmer que les groupes « 1 et 2 » présentent une réaction instantanée nulle (temps d’expérimentation de 10 secondes).
Les groupes « 3 » et « 4 » ont réagi immédiatement et intensément dans une gamme de couleur variant du jaune pâle à l’orange éclatant… (sur la même période de 10 secondes). Selon la nouvelle classification récemment proposée par les auteurs cités au début de l’article, il devrait donc s’agir de glaucescens !


        Nous avons ensuite effectué un contrôle macrochimique que nous appliquons systématiquement aux lactaires, dans le cadre d’une étude en cours (ORGANOLEPTIE et CHIMIE du genre LACTARIUS), dont une première partie vient d’être publiée dans le cadre du Cercle Mycologique de la SOCIETE DES NATURALISTES Namur-Luxembourg.
Nous soumettons chaque espèce à une batterie de 13 tests chimiques différents, et voici ce qui en est ressorti de manière réellement discriminatoire :
Temps d’expérimentation de 5 minutes :
Certaines petites différences peuvent se marquer au niveau d’autres réactifs, mais elles sont plus subtiles et moins interprétables sans possibilité de contestation. Je vous présente ci-dessous ces résultats de tests !

spécimens du groupe 3: lait piquant, très âcre, séchant en perles vert olive grisâtre sur les lames (en 15’)

H2SO4: non testé KOH : lait jaune orange vif rapide ; cuticule orangée NaOH : lait jaune orange vif rapide ; cuticule orangée FeSO4 : Chair rose orange ; chapeau bleu vert 5’ Phénol : pourpre noir partout
acide acétique : non testé NH4OH : nul Gaïac : vert émeraude clair partout 1’ Formol : Nul en apparence (**1) Melzer : chair ponctuée d’orangé ; cuticule nulle
odeur : banale TL4 : chair vert violacé grisâtre ; cuticule nulle Sulfovanilline : chair violet clair fuschia ; cuticule mauve Sulfoformol : Chair vert bleuté violacé ; cuticule nulle Mouchoir : non testé


(**1) : la réaction au formol commercial (dilué à 38 %) se marque comme suit : (test effectué sur la chair du pied et du chapeau) spécimens du groupe 4: lait piquant, très âcre, séchant en perles vert marqué sur les lames (en 15 à 30’)

H2SO4: non testé KOH : lait jaune orange pâle lent ; cuticule orange clair NaOH : lait jaune orange pâle lent ; cuticule orange clair FeSO4 : Chair rose orange ; cuticule nulle, rosâtre 10' et grisâtre en 4 heures Phénol : pourpre noir partout
acide acétique : non testé NH4OH : nul Gaïac : vert émeraude clair partout Formol : chair bleu clair en moins de 10' et bleu mer profond en 1 heure Melzer : nul
odeur : banale TL4 : chair vert violacé grisâtre ; cuticule nulle Sulfovanilline : chair violet clair fuschia, plus vive après 10', mauve foncé en 4 h ; cuticule mauve Sulfoformol : Chair bleue en 15' puis bleu noir en 4 h ; cuticule nulle Mouchoir : non testé



C. TESTS, MESURES et EXPERIMENTATIONS réalisés sur des exemplaires frais de L. glaucescens

1/ MESURE des spores :
ces mesures ont été effectuées après sporulation sur lame de verre et coloration au Melzer
Spores mesurées par Jean-Pierre LEGROS : 5,5-7 x 5-6 µm
Spores mesurées par Didier BAAR (30 exemplaires) : 6-7,5 x 5,5-6 µm
Spores mesurées par Marcel LECOMTE (30 exemplaires) : 5,5-7 x 5-5,5 µm
soit une spore moyenne de 6,4 x 5.5 µm
Elles peuvent être qualifiées de subrondes à subovales.

2/ DENSITE des lames et DIMENSIONS moyennes : comptage des lames effectué à 1,5 cm du stipe, sur 1 cm de large, sur des exemplaires de tous âges…
A représente la longueur du stipe en mm (mesures effectuées au pied à coulisse)
B représente le diamètre du stipe à son insertion avec le chapeau
C représente le diamètre inférieur du stipe
D représente le diamètre moyen du chapeau
E représente le nombre de lames par cm


Exemplaire         A B C D E
1
35
21
12
75
20
2
36
22
13
64
19
3
41
20
16
79
19
4
48
19
15
68
21
5
37
20
16
80
20
6
21
14
10
37
21
7
41
19
14
74
19
8
56
20
14
80
20
9
73
26
19
116
20
10
62
26
20
89
19
11
49
20
16
92
19
12
51
19
13
74
21
13
51
20
14
87
20
14
54
23
13
61
19
15
61
22
14
72
20
TOTAL
726
311
219
1.148
297
MOYENNE
48,4
20,7
14,6
76,5
19,8


3/ OBSERVATIONS microscopiques :
A : spores 5,5-7 x 5-6 µ B : basides 35-40 x 9-11 µ c : cheilocystides 55-60 x 5-6 µ

4/ DESCRIPTION d’exemplaires frais :
Devant cette manne d’observations, nous nous sommes à nouveau penché sur la littérature et nous avons tenté de reconstituer cette sous-section qui est supposée contenir (sous réserve de synonymie…) les espèces suivantes :

eburneus Z. Schaeffer (**1)
espèce peu fréquente des forêts mixtes de l’étage collinéen en Bohême (pour M.T. Basso, c’est un synonyme de glaucescens)
piperatus (Scop. : Fr.) Pers.
(= pergamenus ss. Romagnesi) ; espèce la plus courante, à lames extrêmement serrées
glaucescens Crossland
pour Marchand, ce serait un jalon plus repérable que d’autres entre piperatus et pergamenus
pergamenus(Sw. : Fr.) Fr.
pour Lange, il s’agirait d’une simple variété de piperatus, plus commune que le type, auquel elle est reliée par quantité d’intermédiaires
spurius Romagnesi (**2)
sous feuillus et pessières du Jura ; M.T. Basso le considère comme un nomen nudum, estimant que si on croit à des intermédiaires, ce qui n’est pas son cas personnel, il faut publier une nouvelle espèce ou valider le taxon qui est proposé


(**1) : nous ne le connaissons pas et ne l’avons pas encore observé… mais une recherche sérieuse et approfondie est nécessaire avant de l’ignorer et de le rejeter !

(**2) : nous l'avons observé dans un bois de feuillus, en nombreux exemplaires (plusieurs dizaines), en compagnie de Pierre-Arthur MOREAU ; celui-ci a eu l'extrême amabilité de nous conduire vers le biotope situé dans la montée vers LES ARCS, à une alitude de 900 m environ. Cela se passait le 20 août 2001. Nous l'avons également récolté en Belgique. Les spécimens récoltés et observés correspondaient tout à fait à la description de Romagnesi.

Un article est en préparation à ce sujet !


D. PREMIERES CONCLUSIONS

Si nous restons fidèle à notre conception des Piperatini, nous en arrivons aux descriptions personnelles suivantes :

Lactarius piperatus (L. ex Fr.) ss. Blum, Marchand, Bon, non Romagnesi
Chapeau de belle taille (6,7 à 14 cm de diamètre), uni, lisse, glabre, pouvant se gercer, se crevasser, de manière concentrique, d’abord un peu convexe mais finissant par se creuser (ombiliqué à infundibiliforme jusqu’à 1 cm), de couleur blanchâtre mais se teintant de brun ocre en vieillissant.
Lames très serrées, étroites, blanchâtres puis crème chair pâle, nettement décurrentes.
Lait blanc, immuable sur les lames à la blessure, très piquant sur la langue ; KOH nul sur une lame de verre.
Stipe cylindrique, 6,5 à 9,6 cm de long et 1,3 à 2,7 cm de diamètre, charnu et allongé.
Chair blanchâtre, immuable au grattage et à la coupe, inodore et très poivrée. Réaction nulle au formol.
Rencontré sous Quercus, Fagus, Carpinus, Picea abies…
Spores larges, elliptiques, 7,1-8,8 x 4,8–6,1 µm, arquées d’un fin réseau incomplet.
Cystides subcylindriques à fusoïdes, acuminées, capitées à obtuses.
Basides 4-sporiques, 42-57 x 6,9-8,1 µm.
Cuticule composée en majeure partie de sphérocystes (grosses cellules difformes) en couche épaisse ; épicutis très réduit, avec très peu ou pas d’hyphes entre les sphérocystes.


Lactarius pergamenus (Swartz : Fr.) Fr.
Chapeau de belle taille (9,8 à 15,5 cm de diamètre), mou en surface, blanchâtre mat, velouté, pruineux, prenant l’empreinte des doigts (c'est-à-dire se tachant de brun roux par endroits) ; à dépression assez profonde (jusqu'à 1,5 cm) et à surface irrégulière.
Lames très serrées, blanchâtres, horizontales, adnées, quasi libres.
Lait verdissant nettement et rapidement sur les lames à la blessure ; KOH orangé vif sur une lame de verre. Le lait, isolé sur une lame de verre, bleuit également au formol en quelques heures. Dans certains cas, le lait bleuit même sans réactif…
Stipe cylindrique, charnu et allongé (6 – 8 cm de long, 2,5 à 3,8 cm de diamètre) parfois bulboïde à la base, blanchâtre mais brunissant ou roussissant à la manipulation.
Chair blanchâtre, verdissant au grattage. Après une coupe transversale, chair bleuissant lentement et légèrement à l’air (en 2 h) puis nettement en 12 h ; le processus est accéléré et amplifié avec le formol : rose saumon en 15-30 secondes puis bleu profond des mers du Sud en 5-10 minutes (2 à 3 h pour des exemplaires âgés), sur toute la coupe, et persistant même sur les exsiccata.
Spores ovoïdes à subrondes, 6,1-8,4 x 5,9-6,8 µ, à réseau incomplet et petites verrues.
Basides 4-sporiques, 31-47 x 7.1-8,2 µm. Cystides subcylindriques, abondantes.
Epicutis composé d’un tapis très dense de touffes d’hyphes minces, lui donnant son aspect velouté.


Lactarius glaucescens (Crossland) Pearson.
Chapeau de taille petite à moyenne (37 – 76,5 - 116 mm de diamètre), quasi uniformément blanc crème roux, avec des plages glacées givrées, comme micacées et brillantes ; cuticule lisse, non veloutée ; consistance ferme.
Les exemplaires jeunes, à dépression quasi inexistante, sont finement ponctués d’ocre jaunâtre sur la cuticule qui présente également chez beaucoup de spécimens (à la loupe) de minuscules gouttelettes de lait séché en vert olive.
Les exemplaires très vieux présentent une dépression assez marquée ; leur chair jaunit (beige jaunâtre sale) nettement dans les morsures et la cuticule tend vers un ocre de plus en plus foncé.
Lames très serrées (20/cm), comme chez piperatus, de couleur crème chair, décurrentes au moins par un filet.
Lait verdissant peu rapidement (plus de 15’) et peu vivement sur les lames à la blessure, avec une teinte grisâtre sale puis olivacée ; KOH jaune orangé pâle rapide, sur une lame de verre. Le lait, isolé sur une lame de verre, ne réagit pas au formol, même après plusieurs heures.
Stipe banal, de longueur moyenne (21 – 48,4 – 73 mm), rétréci à sa base (quasi conique), blanchâtre mais brunissant à la manipulation.
Chair jaunâtre au grattage, verdissant lentement; réaction immédiate nulle au formol, avec ensuite un processus de coloration variant dans le temps
La réaction au formol commercial (dilué à 38 %) se marque comme suit : (test effectué sur la chair du pied et du chapeau)
  • après 15 minutes, apparition d’un léger cerne violet mauve diffus autour de la zone formolée
  • après 60’, le cerne est nettement marqué et de la même couleur
  • après 3 heures, l’entièreté de la zone devient bleu ciel clair
  • après 24 heures, le bleu s’est assombri jusqu’au bleu foncé
Spores subrondes ou subovales, de 5,5-6,4-7 x 5-5,5-6 µm., très légèrement verruqueuses, avec de fines crêtes reliées par un filet.
Basides tétrasporiques de 35-40 x 9-11 µm. Cheilocystides de 55-60 x 5,5-7 µm Epicutis composé d’un tapis peu serré de touffes d’hyphes minces et enchevêtrées.


Fort de nos observations macroscopiques et microscopiques, nous avons voulu alors comparer nos observations avec la diagnose de glaucescens Crossland, que notre ami Paul PIROT a bien voulu nous traduire :

« Lac acre, ex alba glaucescens. Pileus carnosus, rigidus, 4 à 6 cm. latus, convexo umbilicato depressus, levis, glaber, siccus, azonus, albidus vel cremoricolor, maculas parvas ochraceo-albus ornaatus, margine involuto, exstriio ; caro albida, compacta, circa 8 mm crassa, ad margine 2 mm. crassa ; lamellae adfixae, confertae, 18-20 in 1 cm., hic inde furcatae, angustae, 1,5 mm. latae, pileo concolorae ; stipes 2,5-3 cm. long. x 1.25 cm. crass. solidus, sursum incrassatus, levis, compactus, pileo concolor ; sporae hyalinae, globosae, minutissime échinulatae, 6-7 µ diam. ; cystidia cylindrica vel subclavata, intus granulosa, 50-60 x 7-8 µ ; lac copiosum, acrum, ex albo glaucescens …. »

Ce qui donne :
« Lait âcre, d’abord blanc, devenant bleu verdâtre. Chapeau charnu, ferme, large de 4 à 6 cm (de diamètre), de convexe à ombiliqué déprimé, lisse, glabre, sec, non zoné, blanc ou couleur crème, orné de petites taches blanc ocre, avec la marge enroulée, non striée ; chair blanche, compacte, épaisse d’environ 8 mm, à la marge épaisse de 2 mm ; lames adnées, serrées, de 18 à 20 par cm, fourchues ça et là, étroites, larges de 1,5 mm, concolores au chapeau ; pied de 2.5 à 3 cm de long x 1.25 cm de large, ferme, épaissi au sommet, lisse, dur, concolore au chapeau ; spores hyalines, globuleuses, très finement échinulées, 6-7 µ de diamètre ; cystides cylindriques ou peu clavées, à contenu granuleux, de 50-60 µ x 7-8 µ ; lait abondant, âcre, blanc puis verdissant…. »

          Beaucoup de caractères correspondent, et il n'est pas fait mention de réaction chimique. Nous ne trouvons aucun antagonisme réel dans nos comparaisons et nos observations.

Lange, Kühner & Romagnesi, Marchand, ont émis cette idée que piperatus et pergamenus pourraient être les repères extrêmes de la variabilité au sein de la sous-section ; ces extrêmes seraient séparés par toute une gamme d’intermédiaires dont spurius, glaucescens et peut-être eburneus, seraient des jalons plus évidents que d’autres…Fort de dizaines d'observations, nous nous rangeons à ce point de vue, en refusant de synonymiser pergamenus et glaucescens qui constituent à nos yeux deux espèces différentes.

         Nous avons ainsi constitué la clé suivante qui nous permet de clarifier nos observations personnelles !
ATTENTION ! Le test au KOH est à effectuer sur le lait séparé de la chair (sur une lame de verre) : la réaction jaune d’or apparaît en quelques secondes si elle est positive !
« …tentée sur la chair du lactaire (la réaction…), c’est la catastrophe, car à partir d’une certaine vétusté, même les exemplaires à lait immuable et non jaunissant présentent une chair se tachant d'orangé au contact de KOH, plus ou moins selon les endroits. » (Blum)


Clé de la sous-section des PIPERATINI (Fr.) Konr.

Numéro
Caractères de différenciation Espèce Numéro
1.1.
lait immuable à la potasse ; lames très serrées
...
2
1.2.
lait jaune pâle à orange vif à la potasse ; lames serrées de manière variable
...
3
2.1.
chapeau blanc, taché de rouille ; chair blanche ; lait très âcre ; lames verdissant parfois dans la vieillesse ; espèce précoce
piperatus
...
2.2.
chapeau infundibiliforme, comme glacé, micacé ; chair et lait verdissants
spurius
...
3.1.
chapeau 10 à 15 cm, légèrement rugueux, à cuticule pruineuse gardant les empreintes des doigts ; lames adnées, horizontales à pentues, peu serrées ; chair vite vert-de-gris ; pied allongé, taché de brun roux dans la partie inférieure ; réaction vive et rapide en bleu foncé du formol sur la chair
pergamenus
...
3.2.
Chapeau 5-6 à 8 cm, lisse, comme glacé, micacé ; lames arquées, subdécurrentes, très serrées, de couleur crème chair ; chair blanche lentement vert jaunâtre à grisâtre olive ; réaction diffuse et lente en violet puis bleu du formol sur la chair
glaucescens
...
3.3.
Chapeau blanc convexe et déprimé, lames très serrées ; chair grisonnante dans les blessures
eburneus
...